LE TYPONOCLASTE
Cette appellation tire son nom dâun croisement de deux substantifs bien distincts qui ont copulĂ© en un nĂ©ologisme pertinent. «DESIGN» qui signifie littĂ©ralement «dessin» mais est associĂ© plus spĂ©cifiquement Ă lâactivitĂ© des arts dits «appliquĂ©s», et «GAGNEUSE», petit nom que lâont donne aux prostituĂ©es qui officient sous la protection dâun proxĂ©nĂšte. Le sens densifiĂ© obtenu prĂ©cise la posture mentale et Ă©conomique obligatoire dans laquelle se trouvent les «graphic designers» (trad. : dessinateurs graphiques), ils nâont dâautre choix que de faire les putes de luxe du capitalisme, un dilemne qui pousse parfois certains dâentre eux Ă une prise de conscience qui les catapulte dans des actes extrĂšmes comme payer leurs polices ou mĂȘme sâabonner à «étapes graphiques».
Monospace, mono-usage mais elle fait un maximum de dĂ©gats. Conçue Ă la suite dâun pari idiot un soir de lâhiver 2010, cette fonte ajoute des ligatures openType Ă sa fonction dâespacement unique, dĂ©truisant ainsi joyeusement le pourquoi de son existence. Un suicide typographique calculĂ©, sciemment exĂ©cutĂ©, il y a quelques dĂ©cennies le peloton dâĂ©xĂ©cutants Ă©tait rĂ©servĂ© aux utilisateurs de tels Ă©garements contre nature.
1997! LâannĂ©e oĂč il sâest passĂ© des choses comme chaque annĂ©e marque lâavĂ©nement de cette police destinĂ©e Ă lâentreprise dynamique et conquĂ©rante de grosse parts de marchĂ©. Son dessin Ă©legant et souple, sa facilitĂ© dâadaptation aux besoins humains en font la fonte la plus prisĂ©e des rapports dâactivitĂ©s et des magazines Ă©conomiques. Ergonomie, accĂšs rapide aux informations, telles sont les qualitĂ©s de cette fonte performante et dynamique dans une sociĂ©tĂ© saine.
Câest au siĂšcle dernier, en 1995, face aux relachements dĂ©lĂ©tĂšres des habitudes typographiques que se fit fortement sentir la nĂ©cĂ©ssitĂ© dâune fonte radicale, forte, infexible sans ĂȘtre spartiate pour autant. La «Dure» fut rĂ©alisĂ©e dans ce sens pour tous ceux qui nâavaient pas froid aux yeux, afin de leur permettre de lutter contre les polices grunges aux mĆurs dissolues qui se vautraient dans la dĂ©construction facile, la corrosion nuisible et lâaffichage mĂ©phitique. HĂ©las elle fut taxĂ© de rĂ©actionnaire par des soixantuitards bien pensants qui la nommĂšrent «Gestapo», la police faciste, et son usage fut vite abandonnĂ©.
Câest pour marquer lâan 2000, annĂ©e symbolique du passage au nouveau millĂ©naire consumĂ©riste, que fut rĂ©alisĂ©e cette police destinĂ©e Ă aider les graphistes indĂ©cis dans leurs choix de typo lorsquâil sont aux prises avec des doutes existentiels quant Ă leurs responsabilitĂ©s sociales. Issue en droite ligne des intentions normalisatrices modernistes comme le furent en leur temps lâHelvetica ou lâUnivers qui tentaient de crĂ©er un alphabet de lecture unique de pensĂ©e unique, lâĂconomique convient Ă toute les formes de graphisme qui sont destinĂ©es Ă vendre toujours plus, et plus vite, tout et surtout nâimporte quoi.
Les grosses lettres de lâemballage doivent ĂȘtre bien lues. Câest fort de ce constat vendeur que cette fonte fut dessinĂ©e en 1998 afin de permettre que toute composition rĂ©alisĂ©e avec elle soient bien ĂCRIT EN GROS, comme le rĂ©pĂštent vos clients et vos petits chefs de crĂ©ation ou de studio. Le propre de cette police nâest pas dâĂȘtre agrĂ©able, sĂ©duisante ou mĂȘme lisible, son unique fonction est de mettre des lettres EN PLUS GROS, ce qui est parfois un peu bĂȘte mais Ă©vite bien des conflits avec des supĂ©rieurs si supĂ©rieurs.
Cette police de 1999 est exclusivement rĂ©servĂ©e Ă lâillisibilitĂ© des textes et des sens. Conçue spĂ©cialement pour contrer vos commanditaires qui critiquent vos choix de typos et rĂ©clament Ă cors et Ă cris un texte plus lisible. GrĂące Ă lâIllisible vous pouvez argumenter la tĂȘte haute que ce choix est dĂ©libĂ©rĂ© et que la police a Ă©tĂ© conçue spĂ©cialement pour cette usage. Argument irrĂ©futable que bien peu pourront contredire.
En 2003 sâamorça un grand virage radical suite Ă la peur de lâan 2000 et dans lâapprĂ©hention de 2004, annĂ©e fatidique oĂč, suivant le calendrier maya, la culture allait ravager les esprits faibles en se transformant en spectacle marchand. Toute action entraine une rĂ©action et câest avec une intention purement rĂ©actionnaire que, sans lâaide du baron, fut dessinĂ©e cette police qui permet aux monstres de froideur que sont les ordinateurs de se rĂ©chauffer en Ă©crivant avec un outil dâĂ©criture qui fit les beaux jours des Ă©coliers des 60âs lorsque leurs instituteurs se battaient pour continuer Ă leur faire apprendre lâĂ©criture Ă la plume, ĂŽ tempora, ĂŽ mores.
En 1998 la vague NĂ©o-Pop ravagea tout sur son passage et il nâest pas un bureau de directeur de directions artistiques qui ne fut envahi par des pages dĂ©coupĂ©es dans des revues japonaises oĂč figuraient des photographies des images de Takashi Murakami ou des sculptures Yayoi Kusama. Cette opportunitĂ© ouvrait une voie mercantile au marchand du temple qui sommeille en tout typographe contemporain et câest ainsi que fut dessinĂ©e cette police qui rĂ©pondait si mal Ă cet echo en forme dâappĂąt du gain. HĂ©las, bien quâintense, la vague fut brĂšve comme un tsunami et la police resta lettre morte, pop mais morte.
En 1999, lors des derniers soubresauts du capitalisme avant lâavĂšnement de lâĂšre de libertĂ© que nous connaissons aujourdâhui, le consumĂ©risme rĂšgnait sans partage sur le monde et la publicitĂ© Ă©tait son arme la plus redoutable. Pour aider nos seigneurs et maĂźtres Ă vendre mieux nâimporte quoi Ă un public servile, cette fonte fut rĂ©alisĂ©e pour accroĂźtre leurs marges de brutes. Cette police indispensable trouva vite ses marques grĂące Ă lâusage intensif du copiĂ©-collĂ© original.
En 2007, le retour de la croissance exponentielle des annĂ©es du Sarkozysme, crĂ©Ăšrent une bulle Ă©conomique bienfaitrice dont profita durablement lâindustrie du luxe. Pour aider cette industrie Ă accroĂźtre ses profits une version classieuse de la police RĂ©clame fut mise en chantier . Rapidement adoptĂ©e par lâensemble de la profession elle contribua Ă la reconquĂšte des valeurs sĂ»res face Ă lâinvasion du mauvais goĂ»t populaire.
Câest en 1994 que le peuple ouvrier et paysan des industries graphiques prit conscience de lâincroyable dĂ©fi quâil sâagissait de relever. Un premier plan quinquennal dĂ©marra aussitĂŽt avec cette police comme figure de proue dâun mouvement qui ne sâest jamais Ă©teint. Composer encore plus de caractĂšres dans un mĂȘme espace, augmenter le rendement Ă la page Ă©tait enfin rendu possible avec lâajout de ligatures openType multiples. Le peuple graphique Ă©tait en marche et dĂ©sormais plus rien ne saurait entraver la marche implacable du progrĂšs.
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